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Chroniques
Domenico Cimarosa
Die heimliche Ehe | Le mariage secret
Avec ses dizaines d’ouvrages lyriques tombés dans l’oubli – soixante-seize, voire quatre-vingt dix-neuf, selon les sources, durant la trentaine d’années qui sépare la première représentation de l’opéra-bouffe Le stravaganze del Conte (Teatro dei Fiorentini de Naples, 1772) d’Artemizia, partition restée inachevée à la mort du compositeur, à Venise (1801) –, on peine à réaliser que Domenico Cimarosa fut pendant deux générations l’égal de Mozart et de Rossini. Natif d’Aversa dans le royaume napolitain (1749), approchant les œuvres de Pergolesi, Piccinni et Sacchini grâce au soprano (castrat) Giuseppe Aprile, le jeune compositeur régale très vite de ses ouvrages fantaisistes sa ville d’adoption, Rome, Florence, Saint-Pétersbourg puis Vienne où il s’installe en 1791, comme successeur d’Antonio Salieri. Le 7 février 1792, c’est au Théâtre de la Hofburg que se crée Il matrimonio segreto, entièrement bissé le soir même sur ordre de l’empereur Leopold II.
Signé Giovanni Bertali, le livret s’inspire d’une pièce de théâtre anglaise, The clandestine marriage (Théâtre royal de Drury, Londres, 1766), écrite par le dramaturge George Colman l’Ancien et le comédien David Garrick à partir du premier tableau du cycle satirique Mariage à la mode de William Hogarth – le peintre et graveur qui inspirerait également Strauss et Stravinsky. Avec Le nozze di Figaro (Mozart) et Il barbiere di Siviglia (Paisiello) [lire notre critique du CD et notre chronique du 27 février 2005], les deux actes du Matrimonio ouvrent la voie aux finesses des opéras comiques du siècle suivant, dans la lignée des idées développées par le poète et philosophe Christian Fürchtegott Gellert qui réfléchit à l’émergence d’un théâtre national allemand et envisage la comédie comme « un poème dramatique qui contient des descriptions de la vie privée ordinaire, vante les vertus et met au jour de manière drôle et spirituelle les vices et les incongruités de l’homme ».
Arthaus Musik commercialise une retransmission télévisée de 1967, à la Deutsche Oper de Berlin. L’image est en noir et blanc (ce qui apporte un charme désuet à cette histoire de chassé-croisé amoureux se déroulant à Bologne, en 1780) et le texte transcrit en allemand par Joachim Popelka (renforçant l’aspect mozartien de la fosse). Adoptée par le metteur en scène Gustav Rudolf Sellner – lequel assura la première production allemande de Moses und Aaron –, la solution des toiles peintes permet des changements de lieux rapides et réguliers, en accord avec la dynamique générale, visant au divertissement de qualité.
Ayant intégré la troupe maison entre 1948 et 1962, six artistes talentueux font un régal de cet Heimliche Ehe. Erika Köth (Carolina) présente un chant large et sûr, aux vocalises agiles et aux aigus remarquables, formant des duos équilibrés avec Lisa Otto (Elisetta). Des trois chanteuses, Patricia Johnson (Fidalma, la tante des deux sœurs) offre sans doute le plus de naturel, en plus d’un corps vocal séduisant et stable. Josef Greindl (Geronimo), bouffe sans en abuser, et Barry McDaniel (Comte Robinson), sympathique aristocrate à la technique fiable, sont bien distribués. Notre préférence va cependant à Donald Grobe (Paolino), ténor au timbre clair et à l’impact impeccable, vraiment souple et nuancé. Avec précision et vivacité, Lorin Maazel donne un rythme idéal à l’ensemble.
LB